lunes, 18 de febrero de 2019

Notes pour une nouvelle typologie des fictions policières




Notes pour une nouvelle typologie des fictions policières
Antonio Domínguez Leiva

Historiquement, la question du roman policier a été surtout marquée par la codification d´un modèle progressivement hégémonique, celui du roman à énigme. Établi au tournant de la Belle Époque entre le triomphe de Sherlock Holmes et l´apogée du Golden Age ou « âge d´or de la détection », ce type de fiction policière a longtemps éclipsé dans le discours critique d´autres formes rivales. Le succès concurrent du roman noir (dont on oublie souvent qu´il fut contemporain non seulement du Golden Age mais des dernières fictions sherlockiennes de Conan Doyle) permit toutefois d´opposer deux grands modèles, auxquels vint s´ajouter, dans la tripartition désormais canonique introduite par T. Todorov dans sa "Typologie du roman policier" (1966), un troisième terme aux contours flous, celui du roman de suspense. Malheureusement, cette première distinction utile entre trois types distincts de récit policier s´est ancrée dans le discours critique en solidifiant ces blocs comme des entités monolithiques sans tenir compte des multiples variantes qui œuvraient en leur sein. L´intérêt accru pour le domaine protéiforme des fictions policières, ainsi que leurs combinatoires transmédiatiques sans cesse en mutation, oblige à reconsidérer ces grands ensembles afin d´aboutir à une nouvelle typologie qui tienne compte de quantité de cas exclus ou ignorés et permette ainsi de tracer un panorama plus pertinent du vaste territoire qu´est la « polarsphère ».

I) Roman d´Aventures Policières

Une première forme de fiction policière provient du roman populaire et constitue une sorte de compromis: le Roman d´Aventures Policières (ou encore Roman policier archaïque). La structure d´ensemble reste celle du roman d´aventures (accumulation de péripéties, retournements spectaculaires de situations, mystères emboîtés, hégémonie de l´action aux dépens de la réflexion analytique, etc.), mais l´on voit émerger en son sein des épisodes d´énigmes élucidées par la détection, de thèmes (la criminalité urbaine, les fausses identités, etc), des motifs (la chambre close) et des situations (la course-poursuite, les usurpations d´héritage, etc.) qui vont caractériser l´univers du roman policier.
On peut distinguer des récits
A) Axés sur la figure de l´enquêteur, qui reste essentiellement un Justicier clairement surhumain (Nick Carter, Sexton Blake, Rouletabille, Harry Dickson)
B) ou axés sur le criminel (Fantômas, Fu Manchu, etc), tout aussi surhumain, ou des organisations criminelles qui en démultiplient les dangers (les Habits Noirs, les Mohicans de Paris)
C) voire sur la victime, selon la tradition mélodramatique des innocents persécutés. Selon une combinatoire protéenne la victime peut se transformer en enquêteur ou en criminel, voire un cumul variable de rôles (Montecristo, Chéri-Bibi).
Évolution : formé au sein du roman populaire du XIXe siècle (roman-feuilleton français, Newgate novel anglaise) il va encore rivaliser avec l´émergence du roman policier à énigme puis celle du roman noir (notamment à travers les pulps états-uniens : The Shadow, Doc Savage, etc) et du roman d´espionnage qui, tout en s´en appropriant divers traits, vont finalement l´éclipser. Il reste néanmoins vivant dans la littérature pour la jeunesse (Fantômette, etc) ou dans le roman sériel d´inspiration feuilletonnesque (Nick Carter-Killmaster, etc)

II) Roman policier à énigme

Le modèle canonique, puisqu´historiquement le plus rigoureusement établi et étudié dès sa naissance (symptomatiquement désignée comme « âge d´or ») est celui du roman policier à énigme classique (v. Y. Reuter, ch. 3). Non seulement on a longtemps réduit « le » roman policier à cette simple variante, mais encore cette variante à sa version dominante, celle du roman d´enquête.

A) Roman de l´enquête
1) Présenté dans sa forme pure comme un pur jeu d´esprit entre détective et criminel mais aussi entre lecteurs et texte, le roman à énigme privilégie le caractère analytique et logique de l'enquête comme processus réflexif qui remonte du crime à ses origines. La constitution du mystère en problème tend à réduire les rôles et les thèmes aux nécessités d'une mécanique répétitive. La structure inversée qui reconstitue le récit du crime à rebours a pour conséquence une perte d'épaisseur psychologique chez le personnage romanesque mais aussi, comme le postule Uri Eisenzweig, une certaine « impossibilité » (terme volontiers provocateur auquel on pourra préférer celui de paradoxe) narrative : selon le pacte de lecture postulé par ce genre, le récit du crime doit être à la fois absent (pour que le mystère subsiste) et présent (pour pouvoir être reconstitué à travers les indices par l´enquêteur et le lecteur).
2) Plusieurs variations sont possibles, que ce soit au niveau de la macrostructure, de la distribution des rôles et des fonctions, voire des motifs principaux.
a) Ainsi, au niveau de la macrostructure on peut trouver une variante significative: l´intrigue inversée (le lecteur connaît le récit du crime, l´intérêt du récit d´enquête se déplace sur le comment de la reconstitution établie par l´enquête). Inaugurée par la série John Thorndyke d´Austin Freeman[1] , la version la plus globalement connue reste celle de la série télé Columbo  https://en.wikipedia.org/wiki/Inverted_detective_story
 Plusieurs variations mineures sont aussi possibles, dont l´accumulation de différentes solutions concurrentes de l´énigme principale jusqu´à présentation de celle qui les dépasse toutes (forme la plus simple : l´opposition entre la version de l´accusation et celle de l´avocat Perry Mason lors de l´inévitable procès final, à la limite des “court-room dramas”; forme accrue : Le club des détectives d´A. B. Cox).
b) Pour ce qui est des rôles et des fonctions, on peut trouver des permutations plus ou moins ingénieuses (l´enquêteur est le criminel, le criminel est le tout premier suspect que l´on croyait blanchi, voire le criminel est le propre narrateur).
c) Pour les motifs, il en est des structurants (la chambre close), d´autres qui imposent plutôt un personnel et des situations-types particulières (les meurtres dans les campus, dans les croisières, etc.).

B) Roman du « gentleman cambrioleur » qui substitue à la structure duelle de l´enquête celle de la préparation et exécution du vol, marquant une inversion axiologique tout aussi ludique que le modèle principal (Raffles vs Sherlock).  Il peut se situer à la frontière du roman d´aventures, marqué par la tradition des biographies criminelles ambigües (où le criminel est à la fois exalté et moralement condamnable) : Arsène Lupin. Ce sous-genre, quoique beaucoup plus minoritaire que celui du roman d´enquête, va survivre au Golden Age comme en témoigne le succès télévisuel de Simon Templar The Saint ou sa variante parodique la Panthère rose.  

C) Le roman à énigme classique axé sur la victime constitue une catégorie liminaire et problématique : il constitue en fait la première mouture du genre de la victime persécutée qui va s´autonomiser en récit de suspense, ce procédé s´hypertrophiant jusqu´à éclipser la dimension énigmatique (Mary Roberts Rinehart) 

D) Hybridations génériques:
1) L´énigme historique est en passe de devenir la forme dominante qui se substitue à la mouture classique, jugée trop fixée dans ses formules. Popularisé dans les années 70 par l´œuvre de Peter Lovesey, Ellis Peters ou Ann Perry, intronisé par Eco dans Le Nom de la Rose (1980), cette hybridation entre le récit d´énigme classique et le roman historique cumule les attraits de ces deux genres qui dominent le champ littéraire de la grande consommation. Elle permet d´échapper au schématisme de plus en plus décrié de la formule du roman à énigme en lui apportant un « supplément d´âme » à travers la reconstitution plus ou moins minutieuse et dépaysante de conditions historiques éculées.
2)  À la limite du fantastique, certains romans à énigmes se situent dans la tradition du "mystère expliqué" qui remonte aux romans gothiques d´Ann Radcliffe, exposant l´élucidation rationnelle d´une intrigue qui apparaît initialement comme surnaturelle. Selon le schéma classique introduit par Todorov l´hésitation fantastique est ainsi résolue par le triomphe du paradigme rationaliste.
Toutefois il existe une variante de "détectives de l´étrange" qui, tout en suivant le modèle sherlockien, affrontent des énigmes qui restent irréductiblement surnaturelles (le modèle classique en étant Thomas Carnacki de W. H. Hodgson).  
3) Le récit d´enquête peut aussi, de par la fixité de ses formules, être transposé dans d´autres genres, aussi éloignés semblent-ils (les récits de mystères robotiques d´Asimov, ou les incursions dans la Fantasy du type Sherlock Gnome)
4) Un cas-limite serait la mobilisation des structures du récit d´enquête pour l´appliquer à l´essai, de l´holmésologie critique aux élucubrations de Pierre Bayard, mais aussi de cet envers paradoxal de l´érudition holmesienne qu´est la « ripperology »

III)  Roman Noir

Délibérément opposé au modèle du roman à énigme tel qu´établi par les écrivains du « Golden Age », le Roman Noir a surtout été catégorisé dans ses oppositions formelles et thématiques à son rival-repoussoir. Ce serait, face à l´hypertrophie de l´énigme intellectuelle, le domaine de l´action violente; face à la structure rigoureuse et contraignante, une forme élastique; face à la proscription de la psychologie et des circonstances sociohistoriques, le retour brutal de celles-ci érigées en vecteurs dominants du récit. Historiquement, l´impact de la Grande Guerre et de la Prohibition, puis de la Grande Dépression, semblent à la fois déterminer cette coupure radicale avec l´idéologie conservatrice de la forme mise au point par l´âge edwardien de l´Empire britannique et marquer l´irruption des forces sociopolitiques au sein même de l´intrigue policière.
Ce régime d´opposition détermine aussi un type d'écriture. Face à la réduction du langage comme formulation de la rationalité chez Poe ou Conan Doyle et son corollaire, le parti pris d'un minimalisme descriptif, s´affirme dans le roman noir un langage ouvert à toutes les variations sociolinguistiques (allant des métaphores ironiques du narrateur jusqu´à l´argot le plus cru) et toutes les inflexions des affects, marquant ainsi le lien indissoluble entre langage, société et psychisme. L'insertion d'unités descriptives articule l´immense variété de l'espace topologique et sociologique, établissant une vraie poétique, voire mythologie, de la jungle urbaine (v. Tadié) 
Toutefois, sous l´influence du modèle du roman à énigme, les catégorisations du Roman noir le réduisent le plus souvent à sa première variante, celle du récit d´enquête, au détriment de ses autres variantes, pourtant plus caractéristiques.

A) Roman Noir d´Enquête
1. Il conserve le canevas du roman à énigme mais substitue à sa structure régressive et duelle une enquête dynamique qui devient le centre du récit, quitte à éclipser la reconstitution du récit du crime préalable qui s´avère souvent irrésolu et irrésoluble, (aspect qui va devenir dominant dans l´évolution contemporaine du « Néo-Noir »). Le caractère événementiel de l'enquête elle-même prend le dessus, privilégiant le faire sur le dire et faisant coïncider le récit avec l'action (v. Reuter, ch. 4)
Ce récit prospectif permet d´explorer l'obscurité et le désordre de la ville mais aussi de la vie au milieu du capitalisme sauvage, tandis qu´émerge un nouveau personnage qui en est à la fois le reflet désenchanté (empruntant des traits antihéroïques) et le seul redresseur de torts possible (aspect chevaleresque appuyé par Chandler). Il s´agit du hard-boiled dick (détective privé dur-à-cuire), cynique rejeton des surhommes justiciers du roman populaire, à mi-chemin entre les divers milieux explorés par le récit, des forces de l´ordre (souvent corrompues) à la pègre (souvent présentée de façon ambigüe, car tout aussi déterminé sociologiquement que le reste du personnel romanesque). Outre le détective (figure liminaire entre le policier et le malfrat), il peut s´agir d´un journaliste (lui aussi tiraillé entre la déontologie et la corruption propres au Quatrième Pouvoir) [2].
1. 1. Parmi les figures de transition entre détective classique et noir, celle de Maigret est sans doute la plus marquante. Malgré l´influence de la formule de l´énigme classique, une certaine sensibilité « noire » marque le récit (Simenon, connaisseur de la littérature états-unienne et de la pègre, est aussi auteur de « romans durs »). Maigret partage des traits avec le détective hard-boiled malgré sa condition de policier soumis à la routine bureaucratique; son regard distancé le place en situation liminaire entre les milieux sociaux, plutôt axés ici sur la petite, moyenne et haute bourgeoisie.
2. Un autre sous-genre émerge lorsque le détective privé fait place au policier, ouvrant sur une collectivisation de l´intrigue et de l´enquête: la police procedural. Pluralisation des récits d´enquête (et des enquêteurs) ainsi que des récits de crime, articulés par une structure de l´enchâssement narratif (d´où l´importance du thème du hasard et des coïncidences), d´où émerge un portrait choral à la mesure de la ville et des différents milieux qui la constituent (dans le droit fil des « mystères urbains » du XIXe siècle)
3. Lorsque la corruption est généralisée (et c´est souvent le cas), la frontière entre crime organisé, milieu des affaires et milieu politique s´estompe jusqu`à englober l´ensemble du corps social. On est alors face à des récits de complot, où il s´agit avant tout de tenter d´exposer la criminalité globale du système, souvent débouchant sur une victoire pyrrhique et toute provisoire de l´enquêteur (journaliste, avocat, détective, jeune politicien) ou son échec. Le néopolar français, marqué par le désenchantement post-soixante-huitard, s´en fera une sorte de spécialité, mettant de l´avant et explicitant l´aspect politique du roman noir déjà inscrit dès sa naissance.

B) Le Roman Noir du criminel 
change dramatiquement l´angle du schéma classique du roman à énigme.
1) Sa variante la plus notable est le Roman du Gangster, qui reprend le relais du roman criminel d´Ancien Régime et de la Newgate Novel à la naissance du gangstérisme moderne qui renouvelle entièrement l´imaginaire social des « classes dangereuses » et du crime.
a) Il peut s´agir d´une véritable biographie criminelle sur le principe tragique ancien du « Rise and Fall of Princes » (d´où les nombreux échos shakespeariens) : Little Caesar, Scarface, etc.
b) Ou plutôt d´une radiographie chorale d´un milieu criminel, soit sur un plan diachronique soit synchronique. L´exemple le plus célèbre reste la trilogie du Parrain, librement adaptée du roman éponyme de Mario Puzo. Le conflit (et les complicités souterraines) avec les forces de l´ordre peut prendre une place importante, permettant des variantes similaires au police procedural (d´où des formes hybrides qui combinent les deux, du type The Wire).
Une autre variante, de plus en plus populaire, est celle de l´agent infiltré qui doit vouvoyer entre le milieu criminel et son appartenance au corps policier, articulant le récit autour de la tension dialectique entre les deux.
c) Des sous-genres émergent autour de situations-types du script criminel, notamment :
c.1. Les fictions de casse (heist) imposent leur propre structure, axée sur la préparation, l´exécution et les lendemains de l´opération, caractérisé par le suspense (limites avec le roman policier de suspense) mais aussi l´analyse du milieu criminel, voire la contraposition avec les autres milieux avec lesquels il a à interférer.
c. 2. De même les romans de prison mettent en vedette le milieu humain au sein d´un milieu clos (vs la jungle urbaine, dont il s´agit ici comme d´un condensé au danger exponentiel), souvent axé sur une tentative d´évasion, ce qui le rapproche de la structure du « heist » caractérisé par le suspense (encore limitrophe avec le roman de suspense)
c.3. L´opposition du « loup solitaire » avec le milieu des gangsters, motivée par une vengeance ou un conflit d´intérêts. Dans le premier cas on retrouve la structure des « tragédies de la vengeance » élisabéthaines, dans le deuxième on peut trouver des échos de roman picaresque (et ses conflits héroï-comiques entre malfrats) ou du hard-boiled dick, dont le criminel solitaire est ici l´envers (mais qui peut tout aussi bien « nettoyer » à vide ses adversaires).
c. 4 La transposition du milieu criminel dans un environnement rural transforme les motifs du crime organisé en une sorte de parodie dégradée. Ce que l´on appelle le « backwoods noir » rejoint ainsi l´imaginaire décadent de la ruralité atavique introduite par les romanciers naturalistes. Cela peut aller de la comédie loufoque (Fantasia chez les ploucs) jusqu´aux abords de l´horreur (Harry Crews), comme en témoignent diverses « redneck movies » étudiées par Maxime Lachaud dans son ouvrage éponyme. On touche là à l´autre versant du roman criminel noir :

2) L´autre grand sous-genre du roman noir du criminel est celui du loser ou fall guy, cumulant son rôle avec celui de la victime. On retrouve là la longue tradition des histoires tragiques et des faits divers, mais aussi des tragédies de la Fatalité.
2.1 Complément souvent exploité de cette figure est celle de la Femme Fatale, par qui la tragédie arrive (souvent connectant le type innocent avec le milieu criminogène ou l´intrigue meurtrière –cas classique du triangle amoureux, variante « noire » du schéma tragique de l´amour contrarié, défini par Denis de Rougemont comme archétype du sentiment amoureux occidental)
2.2 Se démarquant du couple Femme Fatale-Fall guy on trouve aussi le couple loser, amants poursuivis par une fatalité qui leur est extérieure et souvent voués à une cavale sans issue (le prototype restant Bonnie and Clyde).
2.3. Une variante du loser qui s´érigera en sous-genre émergent d´après-guerre est celui du roman du « loser psychopathe », limitrophe avec le roman de suspense voire l´horreur avec lequel on le confond souvent. Là encore c´est l´emphase du texte (atmosphère « noire » et fatalité socio-psychologique vs procédés du suspense ou de l´horreur) qui permettra de départager la dominante générique.

C) Comme dans le cas du roman à énigme le Roman Noir de la victime est difficilement distinguable du roman de suspense. Là aussi, tout dépend si le texte emphatise plutôt la logique narrative du suspense ou le déterminisme du milieu et l´atmosphère « noire » (œuvre limitrophe d´un William Irish). Les innocents persécutés (par la Loi ou les gangsters, voire les deux) rejoignent les losers en cavale dans une galerie de paumés empreinte d´une certaine poétique de l´échec, voire d´une Weltanschauung existentialiste (David Goodis, "romans durs" de Simenon). À la périphérie du naturalisme (Nelson Algren), plusieurs figures d´outsiders (Howard S. Beck) sont privilégiées, du boxeur au "hustler", voire le souteneur, tandis que le sous-genre des délinquants juvéniles se situe à la croisée entre roman du criminel et de la victime, oscillant entre les deux selon l´approche idéologique plutôt libérale ou conservatrice.
 
D) Hybridations du Roman Noir :
               De par sa grande flexibilité formelle et thématique, le Noir peut facilement « colorer » divers autres genres (ce fut le cas notamment au cinéma lors des grandes années du film noir, où l´aspect visuel et iconographique si singulier permit d´influencer toute la production de l´époque :  l´on vit ainsi des westerns noirs, du « techno-noir », des mélos noirs, voire des comédies musicales noires…). Parmi les plus visibles, signalons :
1) Aux frontières du polar et de l´anticipation a émergé un riche courant de SF Noir dont le rejeton le plus visible reste le cyberpunk (abreuvé aux sources des pionniers les plus marqués par cette hybridation –P. K. Dick, Alfred Bester, etc.)
               2) Le mélodrame a souvent eu des zones frontalières avec le roman noir, notamment à travers ses visions plus naturalistes de la déchéance en milieu urbain (récits des perdants livrés à des passions destructrices, fatum déterministe qui écrase des personnages fêlés). Zola fait ici figure de précurseur, de Thérèse Raquin à La bête humaine. Des auteurs tels que Nelson Algren ou Erskine Caldwell s´inscrivent à cette croisée, souvent exploitée dans le film noir (dont les adaptations de ces mêmes auteurs).
3) La question des frontières entre roman d´espionnage et roman noir se pose dans des œuvres où la vision « noire » des dessous des rouages du pouvoir prédomine (souvent à l´intérieur du propre gouvernement, rejoignant les fictions du complot). L´influence du hard-boiled dick sur l´espion-aventurier est aussi historiquement avérée par l´influence directe de Mike Hammer sur James Bond (Spillane crée d´ailleurs sa propre variante du nouveau type superhéroïque : Tiger Mann)
4) Le noir historique accentue les stratégies du Noir vs celle du roman à énigme historique, notamment en puisant dans l´histoire du crime organisé –ou psychopathologique- moderne (Ellroy, Lahaine).


III) Roman de suspense (et/ou Thriller)

Il s´agit, depuis la tripartition canonique de Todorov, de la filière la plus instable et fragile du roman policier du point de vue théorique et institutionnel. Minorée, ramenée dans le giron du roman à énigme (Boileau et Narcejac) ou du roman noir (Todorov), voire simplement ignorée, elle a pourtant acquis une certaine autonomie dans le discours critique (Reuter, ch. 5) et dans l´œuvre de certains auteurs consacrés (Irish, Hitchcock, Highsmith, Mary Higgins Clark) voire dans certains sous-genres, tel le giallo cinématographique.
Contrairement aux autres catégories, la dominante structurelle (Jakobson) est ici un procédé narratif, celui du suspense, hérité du roman populaire (dont les célèbres « cliffhangers » propres au roman-feuilleton et les sombres appréhensions du roman gothique) et dont l´effet visé est de générer un affect (l´angoisse ou, plus généralement, les « thrills » auquel renvoie le terme de « thriller »). On voit là comment on a pu le considérer à la fois comme relevant du roman à énigme et du roman noir, puisque tous les deux peuvent se prêter à un traitement axé sur la tension anxiogène. Dans le premier cas c´est la mécanique intellective qui est invoquée, dans le deuxième c´est l´atmosphère noire qui prime.
Historiquement, c´est au sein du « golden age » du roman à énigme que l´on voit se transformer le legs du roman gothique de la femme persécutée en « mystery novel » du type dit « Had-I-But-Known » (Mary Roberts Rinehart), modèle qui allait longtemps continuer et dont Hitchcock allait faire une de ses spécialités (v. Rebecca). Mais, significativement, le suspense prospère aussi au sein du roman noir, comme en témoigne l´œuvre de William Irish, souvent invoqué comme exemple suprême de ces deux variantes du roman policier. Si l´on compare Irish ou Highsmith avec Rinehart on retrouve, outre l´opposition entre « ratiocination » analytique et action, celle entre vision du monde « noire » et domesticité edwardienne.

A) Le suspense-enquête
Il s´agit de la catégorie le plus souvent évoquée par la critique depuis Todorov. On y retrouve parachevée la fusion entre deux rôles généralement opposés dans les autres variantes, celui de l´enquêteur et celui de la victime, ce qui a souvent mené à dire qu´il s´agit là du roman policier de la victime. La figure privilégiée en est celle du faux coupable qui doit démontrer son innocence (série The Fugitive), poursuivi à la fois par les forces de l´Ordre et par le véritable criminel qui veut s´en débarrasser. Contrairement aux enquêteurs professionnels des autres courants, ce sont ici des citoyens ordinaires qui doivent faire preuve d´ingéniosité et de débrouillardise (plus proches en cela de la métis grecque plutôt que de l´analyse rationaliste du "whodunit" ou de la force brute du noir).
L´enquête est toujours contre la montre et contre la mort, combinant la mécanique formelle et les thèmes existentialistes de l´angoisse primordiale (Angst) et de l´Être-pour-la-mort (cas-limite : l´enquêteur est littéralement la victime du crime qui a juste quelques heures pour trouver son meurtrier avant de trépasser –D.O.A, film de 1949).
Autour de cette dramaturgie essentielle les situations-type peuvent varier : enquête pour retrouver un être cher kidnappé avant qu´il ne soit trop tard, pour déterminer si votre partenaire planifie votre élimination (variante domestique aux accents « gothiques ») ou si des gangsters ou des politiciens corrompus veulent vous faire porter le chapeau d´un crime qu´ils ont commis (variante proche de la mythologie et du personnel du roman noir).

B) Le suspense-criminel
Dans sa variante criminelle, le roman de suspense déplace sa mécanique fondamentale au traitement des meurtres. Si l´enquête était menée sur fond de mort imminente, les récits de crime vont prendre ici le dessus comme élément anxiogène.
1) Lorsque le tueur s´érige en personnage principal, nous avons des récits où le suspense se déplace vers la mécanique qui mène à l´exécution des crimes et les menaces qui pesent sur son propre sort (pourquoi, quand et qui frappera-t-il? Réussira-t-il à éluder la police?). Comme l´enquêteur du suspense, il s´agit ici d´un citoyen ordinaire aux antipodes du criminel professionnel du roman noir (le gangster est d´ailleurs souvent son antagoniste, v. Irish), pris dans une dynamique tout aussi cauchemardesque que celle de l´innocent persécuté (v. Patricia Highsmith). Souvent à la croisée entre le criminel intellectuel du roman à énigme et le loser du roman noir, le criminel du récit de suspense est livré à sa propre débrouillardise, devant faire preuve d´une grande capacité d´improvisation face à l´accumulation de déboires qui compliquent à chaque fois ses projets, de l´exécution du crime à ses conséquences inattendues.
2) Inversement, lorsque le suspense est plutôt placé sur ses victimes, émerge le tueur mystérieux qui constitue une menace pour le groupe qui porte l´identification lectrice. L´emphase est moins dans le récit d´enquête qui vise à le démasquer (souvent littéralement) que dans l´angoisse que suscite son macabre jeu de massacre (le « count-down »). Ironiquement, c´est un texte-limite du roman à énigme classique, les 10 Little Indians d´Agatha Christie, qui va donner naissance à un véritable sous-genre qui en hypertrophie le fonctionnement jusqu`à éclipser, par sa poétique du meurtre, la dimension originelle de l´enquête : le giallo cinématographique.
3) Du tueur mystérieux on passe, historiquement, au psychopathe. Figure désormais hégémonique, héritée du “loser psychopathe” du roman noir et du grand criminel du roman d´aventures policières, le serial killer se prête parfaitement à la mécanique du suspense, constituant en lui-même une sorte de sous-genre aux limites de l´horrifique (la différence réside encore une fois dans la dominante esthétique, à savoir si l´emphase est placée sur l´horreur graphique de ses actions et sur la monstrification du personnage plutôt que sur les procédés de suspense).
Deux perspectives s´ouvrent autour de cette figure: celle de la chasse à l´homme, placée plutôt sur l´axe de l´enquête (inaugurée par des oeuvres atypiques du Golden Age telles que Murder Gone Mad de P. MacDonald ou Cat of Many Tails d´Ellery Queen -et, au cinéma, M. de Fritz Lang) et celle de la cavale sanglante, axée sur le parcours du criminel (modèle classique de Rendez-vous with Death ou The Bride Wore Black de William Irish, le premier filmé significativement en version giallo par Umberto Lenzi) jusqu´à en épouser souvent le point de vue (Killer On the Road d´Ellroy, etc.).
4) Lorsque c´est la relation dialectique entre le criminel et sa victime qui est source de suspense (variation autour de la dialectique hégélienne du maître et de l´esclave) nous pouvons avoir alternance de points de vue ou, plus dramatiquement, restreindre à celui qui offre un plus grand potentiel anxiogène. Les récits de kidnapping (v. l´insoutenable The Vanishing de Tim Krabbé), mais aussi les hésitations domestiques du type « Had-I-But-Known » se prêtent particulièrement à ce traitement.

C) Hybridations génériques
De par son flou constitutif et la transmigration généralisée du procédé narratif du suspense, cette catégorie se prête à des multiples hybridations. Parallèlement, les frontières poreuses permettent de désigner par l´appellatif « thriller » des œuvres de plusieurs genres dès lors que l´on considère que la mécanique du suspense prédomine.
1) Déjà signalées, ses limites avec l´horreur sont souvent floues, comme en témoignent entre autres le cas ambivalent de Psycho et des fictions de serial killers en général, mais aussi les productions de Richard Bachman (pseudonyme initial de Stephen King). La différence de traitement reste toutefois notable : à titre d´exemple, la mutation cinématographique du slasher à partir du giallo marque le passage du suspense à l´horreur par intensification du jeu de massacre aux dépens de la dialectique de l´énigme et de l´enquête et par réduction du tueur à l´archétype du monstre primordial.
2) On parle de « psychological thriller » pour des fictions où l´analyse de cas psychopathologique est structurée autour d´effets de suspense (inquiétudes quant à la santé mentale d´un proche, voire d´un même personnage à l´égard de sa propre psyché).
3) Le terme de « spy thriller » renvoie parfois abusivement aux fictions d´espionnage dans leur ensemble alors que, de par leur autonomisation dans les années d´après-guerre, la tradition critique et le champ littéraire de grande consommation tendent à les distinguer radicalement du roman policier. L´usage restreint du terme nous semble plus approprié lorsque la fiction d´espionnage est toute entière articulée par le suspense (cas canonique de l´innocent que l´on méprend pour un agent secret, rejoignant la thématique de l´innocent persécuté; préparation d´une action terroriste d´envergure internationale, etc.).
4) Plus globalement, la catégorie du « thriller », plus vaste et floue que celle de « récit de suspense », peut fonctionner comme véritable fourre-tout, comme lorsqu´on évoque le genre hégémonique dans les blockbusters de « l´action thriller », mutation du récit d´aventures policières par surenchère de suspense interposée. Plusieurs scripts du roman noir (romans de casse, d´évasion, de chasse à l´homme ou de réglements de compte) peuvent ainsi recevoir un traitement où le suspense et l´action prennent le dessus sur le milieu socio-économique jusqu´à en éclipser les idéologèmes et les sociogrammes d´origine (ou les réduire à des simples clichés).  

Il va de soi que ces différentes variantes se présentent rarement comme des essences « chimiquement pures » et que toutes les combinatoires sont, ici comme partout ailleurs dans l´univers protéen de la fiction, possibles. Récits noirs construits sur le modèle des récits d´énigme classique, récits d´énigme avec forte coloration « noire », récits de suspense combinant les deux autres sont non seulement concevables mais récurrents. L´important, en vue de l´utilisation heuristique de classifications typologiques telle que celle que nous tentons d´apporter ici, est d´être attentif à ce que les différentes combinatoires et dominantes permettent de développer au sein du texte particulier qui les articule, et, partant, aux divers horizons de sens qui s´y activent.


[1] « Some years ago I devised, as an experiment, an inverted detective story in two parts. The first part was a minute and detailed description of a crime, setting forth the antecedents, motives, and all attendant circumstances. The reader had seen the crime committed, knew all about the criminal, and was in possession of all the facts. It would have seemed that there was nothing left to tell. But I calculated that the reader would be so occupied with the crime that he would overlook the evidence. And so it turned out. The second part, which described the investigation of the crime, had to most readers the effect of new matter
[2] Pour une longue liste de Hard-boiled Dicks v. Vázquez de Parga, Mitos de la novela criminal: Continental Op (1923), Sam Spade, Bill Crane (1934) Lemmy Caution (1936), Mike Shayne (1939), Philip Marlowe (id.), Max Thursday (1947) , Mike Hammer (id.), Lew Archer (1949), Shell Scott (1950), Nestor Burma, etc. La variante du journaliste : Kent Murdock de Harmon Coxe 1935, Daniel Mainwaring de Geoffrey Homes 1936, etc.

domingo, 10 de febrero de 2019

Indications pour les analyses critiques


Indications pour les analyses critiques
Introduction
1 paragraphe :
Entrée en matière qui mène droit au cœur de votre problématique
Présentation du corpus choisi (nom auteur, date)
Annonce du plan de votre argumentation
Plan
Un paragraphe par étape de votre argumentation (avec ses exemples)
Plan équilibré et cohérent
Évitez de juxtaposer des analyses d´œuvres en bloc (première partie une œuvre, deuxième une autre, etc) : comparez plutôt les éléments comparables des différentes œuvres qui ont trait à votre problématique et la font évoluer
Analyses
Il ne suffit pas de décrire, il faut toujours que cela mène à une analyse qui doit tenir compte des différents niveaux de sens (approfondissant toujours davantage) et mener à une interprétation (se demander, pout tout « comment », « pourquoi »). Pas de paragraphe sans dimension analytique et interprétative.
Pour cela vous devrez savoir vous appuyer sur un appareillage critique, mettant à profit vos lectures critiques (v. biblio). Certaines vous aideront à un niveau de réflexion globale (lectures théoriques), d´autres au niveau spécifique des œuvres que vous aurez choisies (études d´œuvres). Dans les deux-cas elles sont incontournables
Conclusion
1 paragraphe
Vous reprenez les points essentiels du fil de votre argumentation
Celle-ci vous mène à conclure sur votre hypothèse initiale (la problématique)
Vous finissez en ouvrant votre problématique à des nouvelles dimensions, sous forme d´hypothèse finale qui découle de celle qui a articulé le travail.
Bibliographie critique
Vous devez impérativement fournir une bibliographie critique en plus de votre corpus littéraire et filmique. Celle-ci doit contenir les ouvrages que vous citez dans votre travail ainsi que ceux qui vous ont aidé à son élaboration, montrant que vous avez fait le tour des références incontournables à votre sujet.
Pour cela vous devez faire une recherche bibliographique éclairée (à travers des chercheurs tels que Google Scholar et les bibliographies dont celles de wikipedia.com –éventuellement .fr mais nettement moins bien fournie- mais aussi les banques de données dont vous disposez via Virtuose –JSTOR, Proquest, Érudit, Persée.fr, etc)
La lecture d´ouvrages critiques ne doit pas se réduire à trouver les mots-clés qui vous intéressent pour votre travail ; tout y contribuer à vous former : comprendre comment on rédige une analyse académique (argumentation, citations, tournures de style, etc.), ouvrir des nouvelles perspectives critiques (qui vous aideront, bien évidemment, pour vos autres cours), etc.

Bon travail
ADL

viernes, 1 de febrero de 2019

Naissance de l´holmésologie

"S'il y a quelque chose d'agréable dans la vie, c'est de faire ce que nous ne sommes pas censés faire.  S'il y a quelque chose d'agréable dans la critique, c'est de découvrir ce que nous ne sommes pas censés découvrir.  C'est la méthode par laquelle nous considérons comme significatif ce que l'auteur n'a pas voulu considérer comme significatif, par laquelle nous distinguons comme essentiel ce que l'auteur considérait comme accessoire.  Ainsi, si quelqu'un sort un livre sur les navets, l'érudit moderne essaie d'y découvrir si l'auteur était en bons termes avec sa femme ; si un poète écrit sur les boutons d'or, chaque mot qu'il prononce peut être utilisé comme preuve contre lui lors d'une enquête sur ses vues sur une existence future.  Sur ce principe fascinant, nous nous plaisons à extorquer des preuves économiques à Aristophane, parce qu'Aristophane ne connaissait rien à l'économie ; nous essayons d'extraire des cryptogrammes de Shakespeare, parce que nous sommes intimement certains que Shakespeare ne les a jamais mis là ; nous passons au crible l'Évangile de saint Luc, afin de produire un problème synoptique, parce que saint Luc, le pauvre, n'a jamais su que le problème synoptique existait.

Il y a cependant une fascination particulière à appliquer cette méthode à Sherlock Holmes, parce que c'est, en un sens, la méthode même de Holmes.  C'est depuis longtemps un axiome pour moi, dit-il, que les petites choses sont infiniment plus importantes.  Cela pourrait être la devise de l'œuvre de sa vie.  Et c'est, n'est-ce pas, comme le disent les ecclésiastiques, par les petites choses, les choses apparemment sans importance, que nous jugeons du caractère d'un homme.

Si quelqu'un objecte que l'étude de la littérature de Holmes est indigne d'une attention savante, je pourrais me contenter de répondre que, pour l'esprit savant, tout est digne d'être étudié, si cette étude est approfondie et systématique.  Mais j'irai plus loin, et je dirai que si, à l'heure actuelle, nous avons besoin d'une familiarité beaucoup plus étroite avec les méthodes de Sherlock.  Le mal qu'il a fait a vécu après lui, le bien est enterré avec lui dans le Reichenbach.  C'est un fait connu, à savoir que plusieurs personnes ont contracté la sale et délétère habitude de prendre de la cocaïne à la suite de la lecture des livres.  Il est tout aussi évident que Scotland Yard n'a pas profité le moins du monde de sa satire ou de son exemple.  Lorsque Holmes, dans le "Mystère de la Ligue des cheveux roux", a découvert que certains criminels s'introduisaient dans les caves d'une banque, il s'est assis dans la cave avec une lanterne noire et les a attrapés discrètement au moment où ils passaient.  Mais lorsqu'on découvrit que le gang de Houndsditch méditait un plan exactement similaire, que firent les autorités policières ?  Elles envoyèrent un petit détachement de gendarmes qui frappèrent à la porte du lieu des opérations à la banque, en criant : "Nous pensons qu'il y a un cambriolage en cours ici".  Ils ont bien sûr été abattus, et le ministère de l'Intérieur a dû faire appel à un régiment entier avec des armes à feu et une brigade de pompiers, afin de traquer les survivants.

Toute étude sur Sherlock Holmes doit être, avant tout, une étude sur le Dr Watson.  Traitons d'abord les aspects littéraires et bibliographiques de la question.  D'abord, en ce qui concerne l'authenticité.  Le cycle Holmes comporte plusieurs incohérences graves.  Par exemple, l'Étude en écarlate et les Réminiscences sont de la main de John H. Watson, M.D., mais dans l'histoire de " L'homme à la lèvre tordue ", Mme Watson s'adresse à son mari en l'appelant James.  L'auteur actuel, ainsi que trois de ses frères, ont écrit à Sir Arthur Conan Doyle pour lui demander une explication, en ajoutant leurs noms dans le style approprié, suivis d'une croix, et en indiquant que c'était le signe des Quatre.  La réponse fut qu'il s'agissait d'une erreur, une erreur, en fait d'édition.  Nihil aliud hic latet", dit le grand Sauwosch, "nisi redactor ignoratissimus".  C'est pourtant cette erreur qui a donné l'impulsion originelle à la théorie de Backnecke sur le Deutero-Watson, à qui il attribue l'Étude en écarlate, le Gloria Scott et le Retour de Sherlock Holmes.  Il laisse au proto-Watson le reste des Mémoires, les Aventures, le Signe des Quatre et le Chien des Baskerville.  Il a contesté The Study in Scarlet pour d'autres raisons, par exemple l'affirmation selon laquelle les connaissances de Holmes en littérature et en philosophie étaient nulles, alors qu'il est clair que le véritable Holmes était un homme de grande lecture et de réflexion profonde.  Nous traiterons de ce point à sa place.

Backnecke condamne le "Gloria Scott" en partie parce qu'il affirme que Holmes n'a passé que deux ans au collège, alors qu'il parle dans le "Musgrave Ritual" de "mes dernières années" à l'université, ce qui, selon Backnecke, prouve que les deux histoires ne sont pas de la même main.  Le "Gloria Scott" présente en outre le bull-dog de Percy Trevor comme ayant mordu Holmes sur le chemin de la chapelle, ce qui est manifestement faux, puisque les chiens ne sont pas autorisés à franchir les portes des deux universités.  Le bull-dog est plus à l'aise, ajoute-t-il, sur les marches de la chapelle que cette imitation frauduleuse parmi les produits divins du génie de Watson.  Une autre objection à l'encontre du "Gloria Scott" est qu'il ne présente que quatre des onze divisions (qui seront mentionnées plus tard) de l'épisode complet de Holmes, un pourcentage inférieur à celui que l'on trouve dans toute autre histoire authentique.  Pour ma part, cependant, je me contente de croire que cette irrégularité est due simplement au caractère exceptionnel de l'enquête, tandis que les deux inexactitudes sont trop légères (me judice) pour constituer la base d'une théorie aussi élaborée.  J'inclurais le "Gloria Scott" et l'Etude in Scarlet comme des incidents authentiques de la biographie de Holmes.

Lorsque nous en arrivons au " problème final ", la prétendue mort de Holmes et son retour ultérieur dans un état intact et même vigoureux, le problème s'assombrit.  Certains critiques, acceptant les histoires du Retour comme authentiques, considèrent le " problème final " comme un incident truqué par Watson pour ses propres besoins ; ainsi M. Piff-Pouff le représente comme une vieille esquive du thaumaturge, et cite l'exemple de Salmoxis ou Gebeleizis chez les Gètes, qui se cacha sous terre pendant deux ans, puis revint prêcher la doctrine de l'immortalité.  En fait, le verdict de M. Piff-Pouff est ainsi exprimé :  "Sherlock Holmes n'est pas du tout tombé du Reichenbach, c'est Vatson qui est tombé du pinacle de sa mendicité.  Dans le même ordre d'idées, Bilgemann affirme que l'épisode est une faible imitation d'Empodocle sur l'Etna, l'alpenstock étant abandonné pour représenter la fameuse pantoufle qui a été revomie par le volcan.  L'épisode du "Problème final", dans son langage immortel, "a complètement renversé la charrette à pommes de Watsons".

D'autres, dont Backnecke bien sûr, considèrent que le "Problème final" est authentique et que les histoires du Retour sont une invention.  Les preuves contre ces histoires peuvent être divisées en (a) celles suggérées par des changements dans le caractère et les méthodes de Holmes, (b) celles reposant sur des impossibilités dans le récit lui-même, (c) les incohérences trouvées par comparaison avec les récits précédents.

(a) Le vrai Holmes n'est jamais discourtois envers un client : le Holmes de " L'aventure des trois étudiants " " haussait les épaules en un acquiescement peu gracieux tandis que notre visiteur ... déversait son histoire ".  D'autre part, le vrai Holmes n'a aucune envie morbide de commettre un crime grave", mais lorsque John Hector Macfarlane parle de la probabilité d'être arrêté, le détective est représenté en train de dire "Arrêtez-vous ! C'est très grati---- très intéressant".  À deux reprises dans le Retour, il se moque de son prisonnier, une habitude dont le vrai Holmes, que ce soit pour des raisons d'étiquette professionnelle ou autres, s'abstient invariablement.  Encore une fois, le faux Holmes appelle une cliente par son nom de baptême, chose impossible pour un auteur dont les opinions n'ont pas été déformées par la présentation erronée qui en est faite dans la pièce.  Il s'abstient délibérément de manger lorsqu'il est au travail : le vrai Holmes ne le fait que par étourderie, comme dans le " Cas des cinq pépins d'orange ".

Il cite Shakespeare dans ces seules histoires, et ce trois fois, sans le reconnaître.  Il cède à une logique ridiculement mauvaise dans les "Dancing men".  Il envoie Watson comme émissaire dans le "Cycliste solitaire", et c'est là un fait sans équivalent, car dans le "Chien des Baskerville", il descend également à Dartmoor pour suivre l'affaire incognito.  Le vrai Holmes ne divise jamais un infinitif ; le Holmes des histoires de retour en divise au moins trois.

(b) Est-il vraisemblable qu'un article sur les bourses d'études de l'université - voire d'Oxford, car le Quadrangle est mentionné à ce sujet - ne soit imprimé qu'un jour avant l'examen ?  Qu'il ne comporte que la moitié d'un chapitre de Thucydide ?  Que l'examinateur mette une heure et demie à corriger ce demi chapitre pour l'imprimerie ?  Que les épreuves du demi-chapitre fassent l'objet de trois feuillets consécutifs ?  De plus, si un crayon était marqué du nom de JOHANN FABER, comment les deux lettres NN, et ces deux-là seulement, pourraient-elles être laissées sur le moignon ?  Le professeur J. A. Smith a également fait remarquer qu'il serait impossible de savoir, à partir de la superposition des traces des pneus de bicyclette avant et arrière, si le cycliste allait ou venait.

(c) Quant aux incohérences réelles.  Dans le mystère du "Cycliste solitaire", un mariage est célébré en l'absence de toute autre personne que l'heureux couple et l'ecclésiastique qui officie.  Dans "Scandale en Bohème", Holmes, déguisé en flâneur, est délibérément appelé à donner une épouse inconnue au motif que le mariage ne serait pas valide sans témoin.  Dans le "Dernier problème", la police arrête "toute la bande à l'exception de Moriarty".  Dans l'"Histoire de la maison vide", nous apprenons qu'ils n'ont pas réussi à incriminer le colonel Moran.  Le professeur Moriarty, dans le Retour, s'appelle professeur James Moriarty, alors que nous savons, grâce au "Dernier problème", que James était en réalité le nom de son frère militaire, qui lui a survécu.  Et, pire que tout, le mannequin dans la vitrine de Baker Street est drapé dans "la vieille robe de chambre couleur souris" !  Comme si nous avions oublié que c'est dans une robe de chambre bleue que Holmes fumait une once de tabac à chiots à la fois, alors qu'il démêlait la sombre complication de "L'homme aux lèvres tordues" !  "Le détective", dit M. Papier Mache, "est devenu un caméléon".  Ce n'est pas la première fois, dit le plus pondéré Sauwosch, qu'un manteau de plusieurs couleurs a été utilisé comme tromperie !  Mais en vérité, Sherlock, notre Joseph moderne, a complètement disparu, et la bête maléfique Watson l'a dévoré".

Je suis d'accord avec cette critique : Je ne peux cependant pas adhérer à la théorie du deutéro-Watson.  Je croyais que toutes les histoires avaient été écrites par Watson, mais alors que le cycle authentique s'est réellement produit, les aventures fallacieuses sont les lucubrations de sa propre invention.  Nous pouvons certainement reconstituer les faits de cette manière.  Watson a été un peu casse-cou.  Il est dépensier : c'est ce que nous savons dès le début de l'Étude en écarlate.   Son frère, comme Holmes l'a découvert en examinant les rayures sur le trou de serrure de sa montre, était un ivrogne invétéré.  Lui-même, en tant que célibataire, hante le Criterion Bar : dans le Signe des Quatre, il admet avoir mangé trop de Beaune au déjeuner, se comporte bizarrement à l'heure du déjeuner, parle de tirer un mousquet avec un tiger-cub à double canon, et met en garde sa future épouse contre la prise de plus de deux gouttes d'huile de ricin, tout en recommandant la strychnine à fortes doses comme sédatif.  Que se passe-t-il ?  On lui enlève son Eligah ; sa femme, comme nous le savons, meurt ; il retombe sous l'emprise de son vieil ennemi ; sa pratique, déjà diminuée par une négligence continue, disparaît ; il est obligé de gagner sa vie en rapiécant des travestissements maladroits des incidents merveilleux dont il était autrefois le fidèle rapporteur.

Sauwosch a même dressé un tableau élaboré de ses dettes envers d'autres auteurs et envers les histoires précédentes.  Le séjour de Holmes au Thibet avec le Grand Lama est dû au Dr. Nikola ; le chiffre des "Dancing Men" est lu de la même manière que celui du "Gold Bug", d'Edgar Allen Poe ; l'"Adventure of Charles Augustus Milverton" montre l'influence de Raffles ; le "Norwood Builder" doit beaucoup au "Scandal in Bohemia" ; le " Cycliste solitaire " a l'intrigue de l'" Interprétation grecque " ; les " six Napoléons " du " Carboncule bleu " ; l'" Aventure de la deuxième tache " est un doublet du " Traité naval ", et ainsi de suite.

Nous passons maintenant à la datation des différentes pièces, dans la mesure où elle peut être déterminée par des preuves internes, implicites ou explicites.  Les résultats peuvent être présentés sous forme de tableau :

(1) The ‘Gloria Scott’ – le premier cas de Holmes’s first case.
(2) The ‘Musgrave Ritual’ – son deuxième.
(3) The Study in Scarlet -- Watson first appears, i.e. the first of the We-Stories.  date 1879
(4) 1883, the ‘Speckled Band’.
(5) 1887, April, the ‘Reigate Squires’.
(6) Same year, the ‘Five Orange Pips’.
(7) 1888, the Sign of Four – Watson se fiance .
(8) The ‘Noble Bachelor’.  Watson se marie suivi de 

(9) The ‘Crooked Man’.
(10) The ‘Scandal in Bohemia’, et
(11) The ‘Naval Treaty’, apparemment dans cet ordre 


A une période quelconque de l'année 88, nous devons attribuer les numéros 12, 13 et 14, c'est-à-dire le "Commis d'agent de change", le "Cas d'identité" et la "Ligue des cheveux rouges".  En juin 89, nous avons (15) l'"Homme aux lèvres tordues", (16) le "Pouce de l'ingénieur" (été), et (17) le "Carboncule bleu" (quelque part dans l'octave de Noël).  Le "Final Problem" est daté de 1991.  Parmi les autres, "Silver blaze", le "Yellow Face", le "Resident Patient", le "Greek Interpreter", la "Beryl Coronet" et le "Copper Beeches" sont apparemment antérieurs au mariage de Watson, le "Boscombe Valley Mystery" postérieur à celui-ci : sinon, ils ne sont pas datés.

Il ne reste que le Chien des Baskerville.  Il est explicitement daté de 1889, c'est-à-dire qu'il ne prétend pas être postérieur au Retour.  Sauwosch, qui pense qu'il est faux, fait remarquer que le Times n'aurait jamais eu de leader sur le libre-échange avant 1903.  Mais cet argument tiré d'une preuve interne est vain : nous pouvons montrer par une méthode quelque peu similaire à celle de Blunt, Undesigned Coincidences in Holy Scriptures, qu'il était censé être antérieur à 1903.  Le vieux grincheux qui veut intenter un procès à la police dit qu'il sera connu comme le cas de Frankland contre REGINA - le roi Edouard, comme nous le savons tous, a succédé en 1901.

Je ne dois pas perdre de temps à évoquer d'autres preuves (très insatisfaisantes) qui ont été avancées pour démontrer le caractère fallacieux du Chien des Baskerville.  L'amour de la propreté personnelle, propre aux chats, de Holmes n'est pas vraiment incompatible avec la déclaration de l'Étude en écarlate selon laquelle il avait des piqûres d'épingle sur toute la surface de sa main recouverte de plâtre - bien que Backnecke s'en serve également pour contester l'authenticité de la production antérieure.  Une question plus sérieuse est celle de l'heure du petit déjeuner de Watson.  Dans l'Étude en écarlate et dans les Aventures, on nous dit que Watson a pris son petit-déjeuner après Holmes ; dans le Chien, on nous dit que Holmes a pris son petit-déjeuner tard. Mais, dans ce cas, il faut en déduire que Watson a pris son petit-déjeuner très tard.

En prenant donc comme base de notre étude les trois longues histoires, Le Signe de Quatre, Une Etude en Ecarlate et Le Chien des Baskerville, ainsi que les vingt-trois nouvelles, douze dans les Aventures et onze dans les Mémoires, nous pouvons examiner la construction et les antécédents littéraires de cette forme d'art.  Le schéma réel de chacune d'elles devrait consister, selon l'érudit allemand Ratzegger, suivi par la plupart de ses successeurs, en onze parties distinctes ; l'ordre de ces parties peut, dans certains cas, être modifié, et plus ou moins d'entre elles peuvent apparaître selon que l'histoire se rapproche ou s'éloigne du type idéal.  Seul A Study in Scarlet présente l'ensemble des onze parties ; le Signe des Quatre et le "Silver Blaze" en ont dix, le "Boscombe Valley Mystery" et la "Beryl Coronet" neuf, le "Hound of the Baskervilles", le "Speckled Band", les "Reigate Squires" et le "Naval Treaty" huit, et ainsi de suite jusqu'à ce que nous arrivions aux "Five Orange pips", au "Crooked Man" et au "Final Problem" avec cinq, et au "Gloria Scott" avec seulement quatre.

La première partie est le Proömion, une scène familiale de Baker Street, avec de précieuses touches personnelles, et parfois une démonstration par le détective.  Vient ensuite la première explication, ou Exegesis kata ton diokonta, c'est-à-dire l'exposé de l'affaire par le client, suivi de l'Ichneusis, ou enquête personnelle, qui comprend souvent la fameuse marche au sol à quatre pattes.  Le numéro 1 est invariable, les numéros 2 et 3 sont presque toujours présents.  Les numéros 4, 5 et 6 sont moins nécessaires : ils comprennent l'Anaskeue, ou réfutation par ses propres mérites de la théorie officielle de Scotland Yard, la première Promenusis (exoterike) qui donne quelques indices à la police, qu'elle n'adopte jamais, et la seconde Promenusis (esoterike), qui confie le véritable déroulement de l'enquête à Watson seul.  Cette dernière est parfois erronée, comme dans le cas du "Visage jaune".  Le numéro 7 est l'Exetasis, ou la suite du procès, y compris les interrogatoires croisés des parents, des personnes à charge, etc. du cadavre (s'il y en a un), les visites au bureau des archives, et diverses enquêtes dans un personnage fictif.  Le n° 8 est l'Anagnorisis, dans laquelle le criminel est attrapé ou démasqué.  Le n° 9 est la seconde Exégèse (kata ton pheugonta), c'est-à-dire la confession du criminel, le n° 10 est la Metamenusis, dans laquelle Holmes décrit quels étaient ses indices et comment il les a suivis, et le n° 11 est l'épilogue, qui tient parfois en une seule phrase.  Cette conclusion est, comme le Proömion, invariable, et contient souvent un gnome ou une citation de quelque auteur standard.

Bien que l'Étude en écarlate soit, dans un certain sens, le type et l'idéal d'une histoire de Holmes, elle est aussi, dans une certaine mesure, un type primitif dont certains éléments ont été écartés par la suite.  L'Exégèse kata ton pheugonta est racontée pour la plupart, non pas dans les mots du criminel, mais comme une histoire séparée dans la bouche du narrateur : elle occupe une quantité disproportionnée de l'espace total.  Cela montre directement l'influence de Gaboriau : son Dilemme du détective est un volume, contenant un récit de la traçabilité du crime jusqu'à son auteur, qui est bien sûr un duc : le deuxième volume, le Triomphe du détective, est presque entièrement une vente au détail de l'histoire de la famille du duc, qui remonte à la Révolution, et nous ne retrouvons Lecoq, le détective, que dans le dernier chapitre.  Bien sûr, cette façon de raconter l'histoire a été trouvée longue et fastidieuse, mais l'école française ne l'a pas encore percée à jour, puisque le " Mystère de la chambre jaune " laisse tout un problème inexpliqué pour fournir une copie au " Parfum de la dame en noir ".

Mais les affinités littéraires du style magistral du docteur Watson sont à chercher plus loin que Gaboriau, ou Poe, ou Wilkie Collins.  M. Piff-Pouff notamment, dans sa Psychologie de Vatson, a établi des parallèles très remarquables avec les Dialogues de Platon et avec le drame grec.  Il nous rappelle les manières fanfaronnes de Thrasymaque lorsqu'il se lance pour la première fois dans l'argumentation de la République, et compare l'entrée en scène d'Athelney Jones : " Oh, come, now, come !  N'ayez jamais honte d'avouer !  Mais qu'est-ce que tout cela ?  Mauvaises affaires, mauvaises affaires !  Les faits sont clairs, il n'y a pas de place pour les théories", et ainsi de suite.  Et lorsque le détective revient, découragé, après quelques jours, s'essuyant le front avec un mouchoir rouge, nous nous rappelons que Socrate décrit la première fois de sa vie où il a vu Thrasymaque rougir.  Les théories rivales de Gregson et de Lestrade ne servent qu'à illustrer la multiformité de l'erreur.

Mais le point le plus important est la nature de la critique de Scotland Yard.  Lecoq a son rival, mais ce rival est son propre supérieur dans le corps des détectives, il contrecarre ses plans par dépit, et il est même complice du fait que le prisonnier reçoit des notes par la fenêtre de sa cellule.  La jalousie d'un Lestrade n'a rien de cet esprit dérisoire ; c'est une combinaison de fierté intellectuelle et de dépit professionnel.



 C'est l'opposition de la force régulière à l'amateur.  Socrate était détesté par les sophistes parce qu'ils prenaient de l'argent, alors que lui n'en prenait pas.  Les cas dans lesquels Holmes prend de l'argent, explicitement en tout cas, sont peu nombreux.  Dans "Scandale en Bohème", on lui donne 1 000 £, mais il semblerait que cette somme ne soit destinée qu'aux dépenses courantes et qu'elle ait pu être remboursée.  À la fin, il refuse le cadeau d'une bague en émeraude.  Il ne permettra pas à la City and Suburban Bank de faire plus que de payer ses dépenses liées à la "Red-Headed League".  Il dit la même chose ailleurs :  "Quant à ma récompense, ma profession est ma récompense.  D'autre part, il prend 4 000 £ à M. Holder alors qu'il a récupéré les béryls manquants pour 3 000 £.   Dans A Study in Scarlet, lorsqu'il se lance dans les affaires, il dit : " J'écoute leur histoire, ils écoutent mes commentaires, et ensuite j'empoche mes honoraires ".  Dans l'"Interprète grec", il affirme que la détection est pour lui un moyen de subsistance.  Et dans le " Dernier problème ", nous apprenons qu'il a été si bien payé pour ses services dans plusieurs cas de têtes couronnées qu'il envisage de se retirer des affaires et de se lancer dans la chimie.  Nous devons donc supposer qu'il acceptait parfois d'être payé, mais peut-être seulement lorsque ses clients pouvaient se le permettre.  Néanmoins, par rapport aux fonctionnaires, c'est un électron libre : il n'a aucune raison de se battre, aucune promotion à rechercher.  En outre, il y a une antithèse de la méthode.  Holmes est déterminé à ne pas se laisser entraîner par les questions secondaires et la pression apparente des faits : c'est ce qui l'élève au-dessus du niveau des sophistes.

Si les sophistes ont été empruntés au dialogue platonicien, un élément au moins a été emprunté au drame grec.  Gaboriau n'a pas de Watson.  Le confident de Lecoq est un vieux soldat, d'une stupidité préternaturelle, d'une inefficacité inconcevable.  Watson fournit ce dont le drame de Holmes a besoin : un chœur.  Il représente la vision solide, orthodoxe, respectable du monde en général ; sa morosité est accentuée par le contraste avec les feux de la rampe qui s'abattent sur le personnage central.  Il reste stable au milieu des remous et du flux des circonstances.

Ille bonis faveatque, et consiletur amicis,
Et regat iratos, et amet peccare timentes ;
Ille dapes laudet mensae brevis, ille salubrem.
Justitium, legasque, et apertis otia portis.
Ille tegat commissa, deosque precetur et oret
wut redeat miseris, abeat fortuna superbis.

C'est au professeur Sabaglione que nous devons l'étude la plus approfondie de Watson dans son caractère choral.  Il compare des passages de ce genre à celui de la "bande tachetée" :

 Holmes : "La dame ne pouvait pas déplacer son lit.  Elle doit toujours être dans la même position relative par rapport au ventilateur et à la corde - car c'est ainsi que nous pouvons l'appeler, puisqu'il est évident qu'elle n'a jamais été conçue pour tirer une sonnette".
 Watson : "Holmes, il me semble que je vois ce à quoi vous faites allusion.  Nous avons juste le temps d'empêcher un crime subtil et horrible.

avec le passage bien connu de l'Agamemnon :

 Cassandre : "Ah, ah, éloigne le taureau de la vache !".  Elle le prend, celui qui a la corne noire, dans un filet par sa ruse, et le frappe ; il tombe dans un vaisseau d'eau - je te parle du Mystère du Chaudron traître.
 Chorus : "Loin de moi l'idée de me vanter d'une compétence particulière en matière d'oracles, mais je déduis de ces mots un malheur imminent".

Watson, comme le Chœur, est toujours en contact avec l'action principale et semble partager tous les privilèges de l'auditoire ; cependant, comme le Chœur, il a toujours trois étapes de retard sur l'auditoire dans le dénouement de l'intrigue.

Et le sceau, le symbole et le secret de Watson est, bien sûr, son jeu de quilles.  Ce n'est pas un joueur de bowling comme les autres ; c'est un vêtement sacerdotal, un insigne de fonction.  Holmes peut porter un chapeau de squash, mais Watson est attaché à son chapeau de bowling, même à minuit dans le silence de Dartmoor ou sur les pentes solitaires du Reichenbach.  Il le porte constamment, comme l'archimandrite ou le rabbin porte son chapeau : l'enlever serait comparable à la tonte des mèches de Samson par Dalila.  Watson et son chapeau melon, dit M. Piff-Pouff, ne sont séparables que par la pensée.  C'est son sommet de laine, son pétase d'invisibilité, sa mitra pretiosa, sa triple tiare, son halo.  Le chapeau melon représente tout ce qui est immuable et irréfragable, la loi et la justice, l'ordre établi des choses, les droits de l'humanité, le triomphe de l'homme sur la brute.  Elle domine de façon colossale le sordide, la misère et le crime : elle fait honte, elle guérit et elle honore.  La courbe de son bord est la courbe de la symétrie parfaite ; la rotondité de sa couronne est la rotondité du monde.  Des chapeaux des clients de Holmes, écrit le professeur Sabaglione, se déduisent les trains, les habitudes, les idiosyncrasies ; du chapeau de Guatson se déduit son caractère.  Watson est tout pour Holmes - son conseiller médical, son souffre-douleur, son philosophe, son confident, son sympathisant, son biographe, son aumônier domestique, mais par-dessus tout, il s'impose dans l'histoire comme le porteur de l'invincible chapeau melon.

Et si les détectives rivaux sont les sophistes et Watson le Chorus, qu'en est-il des clients et des criminels ?  Il est très important de se rappeler que ce ne sont que des personnages secondaires.  Les meurtriers du cycle Holmes ", nous assure M. Papier Mache, " n'ont pas plus d'importance que les meurtriers n'en ont dans Macbeth ".  Holmes lui-même déplore souvent l'habitude de Watson de rendre les histoires trop sensationnelles, mais il lui fait une injustice.  Les auteurs de crimes ne sont pas, pour Watson, d'un intérêt personnel, comme le duc de Gaboriau ; ils n'ont pas d'autre relation avec le détective que celle qui existe entre le chien de chasse et sa proie - l'auteur du "Mystère de la chambre jaune" était un maladroit quand il a fait de Jacques Rouletbille le fils naturel du criminel - ils ne sont pas animés par des motifs nobles ou religieux comme les méchants de haut vol dans l'Innocence du père Brown de M. Chesterton.  Tous les clients sont des clients modèles : ils exposent leur cas dans un jargon journalistique sans faille ; tous les criminels sont des criminels modèles : ils font la chose la plus intelligente qu'un criminel puisse faire dans des circonstances données.  Par une sorte de paradoxe socratique, on pourrait dire que le meilleur détective ne peut attraper que le meilleur voleur.  Une seule gaffe de la part du coupable aurait mis à mal toutes les déductions de Holmes.  L'amour et l'argent sont leurs seules motivations, la brutalité et la ruse leurs qualités indéfectibles.

Et c'est ainsi que nous arrivons à la figure centrale elle-même, et que nous devons essayer de rassembler quelques fils de ce personnage complexe et aux multiples facettes.  Il y a une certaine ironie dans ce processus, car Holmes aimait se considérer comme une machine, un limier inhumain et indifférencié.  ''L'omme, c'est rien ; l'oevre, c'est tout'' était l'une de ses citations préférées.

Sherlock Holmes descendait d'une longue lignée de châtelains : sa grand-mère était la sœur d'un artiste français ; son frère aîné Mycroft était, comme nous le savons tous, plus doué que lui, mais il trouva une occupation, si l'on en croit les Reminscences, dans un audit confidentiel des comptes du gouvernement.  Nous ne savons rien de la carrière scolaire de Sherlock ; Watson était à l'école, et l'un de ses camarades de classe était le neveu d'un pair, mais cela semble avoir été exceptionnel, car il était considéré comme amusant de "le chevaucher dans la cour de récréation et de le frapper sur les tibias avec un guichet".  Cela semble écarter l'idée que Watson était un Etonien.  D'autre part, nous n'avons aucune preuve de sa carrière universitaire, si ce n'est le témoignage (toujours douteux) de l'une des histoires de Return selon lequel il ne connaissait pas le paysage du Cambridgeshire.  De la période étudiante de Holmes, nos connaissances sont beaucoup plus complètes ; il était de nature réservée et ses loisirs - la boxe et l'escrime - ne lui ont pas permis de faire beaucoup de connaissances.  L'un de ses amis était Percy Trevor, fils d'un ancien détenu qui avait fait fortune dans les champs aurifères australiens ; un autre Reginald Musgrave, dont les ancêtres remontaient à la Conquête - le dernier cri de l'aristocratie.  Il vit dans un collège, mais quel collège ?  Et dans quelle université ?  L'argument selon lequel son penchant pour les sciences l'aurait naturellement conduit à Cambridge ne tient pas la route, car pourquoi n'y serait-il resté que deux ans s'il voulait une véritable formation scientifique ?  Plus je considère la richesse de ses deux amis, l'aristocratie exclusive de l'un et les tendances canines de l'autre, ainsi que l'isolement qui mettait sous le boisseau même une lumière aussi brillante que celle de Holmes, plus j'incline à penser qu'il était à la House.  Mais nous n'avons pas de preuves sûres.

S'il était un homme d'Oxford, il n'était pas un homme des Grands.  Pourtant, lorsque Watson décrit ses premières impressions de l'homme au début de l'Étude en écarlate - le locus classicus pour les caractéristiques de Holmes - il lui donne tort en disant que ses connaissances en philosophie sont nulles, et que ses connaissances en littérature sont nulles.  Le fait est, clairement, que Holmes n'a pas laissé apparaître ses talents avant d'avoir vécu quelque temps avec Watson et d'avoir appris à reconnaître ses qualités exceptionnelles.  En fait, il compare Hafiz à Horace, cite Tacite, Jean Paul, Flaubert, Goeth et Thoreau, et lit Petrach dans une voiture G.W.R..  Il ne s'intéresse pas vraiment à la philosophie en tant que telle, mais il a des idées bien arrêtées sur la méthode scientifique.  Un philosophe n'aurait pas pu dire : "Quand vous avez éliminé l'impossible, tout ce qui reste, même improbable, doit être la vérité".  Il n'aurait pas pu confondre observation et déduction, comme le fait Holmes lorsqu'il dit : "L'observation me montre que vous êtes allé à la Poste" en jugeant de la boue sur les bottes de Watson.  Il doit y avoir inférence ici, bien que l'on puisse parler d'inférence implicite, aussi enragée que soit la transition de la pensée.  Pourtant, Holmes n'était pas un sensationnaliste.  Quelle sublime confession de foi pourrait faire un réaliste que cette remarque dans l'Étude en écarlate : " Je devrais savoir maintenant que lorsqu'un fait semble s'opposer à une longue série de déductions, il s'avère invariablement capable d'une autre interprétation ".

Et ici, je dois dire un mot sur la soi-disant "méthode de déduction".  M. Papier Mache a affirmé avec audace qu'elle avait été volée à Gaboriau.  M. Piff-Pouff, dans son article bien connu, "Qu'est-ce que c'est la déduction ?", déclare sans ambages que les méthodes de Holmes étaient inductives.  Les deux sophismes reposent sur une base commune.  Lecoq a des observations : il remarque des traces de pas sur la neige.  Il a un pouvoir d'inférence car il peut déduire de ces pas le comportement de ceux qui les ont laissés.  Il n'a pas la méthode de déduction - il ne s'assied jamais pour raisonner sur ce que l'homme aurait probablement fait ensuite.  Lecoq a sa lentille et ses forceps : il n'a pas la robe de chambre et la pipe.  C'est pourquoi il doit s'en remettre au hasard, encore et encore, pour retrouver les fils perdus.  Holmes ne comptait pas plus sur le hasard qu'il ne priait pour un miracle.  C'est pourquoi Lecoq, dérouté après une longue enquête, doit avoir recours à une sorte de détective de salon, qui, sans quitter le salon, lui dit exactement ce qui a dû se passer.  Il est faux d'appeler ce dernier personnage, comme le fait M. Papier Mache, l'original de Mycroft : il est l'original, si l'on veut, de Sherlock.  Lecoq n'est que le Stanley Hopkins, presque le Lestrade, de son époque.  Holmes lui-même nous a expliqué la différence entre observation (ou inférence) et déduction.  C'est par observation a posteriori qu'il reconnaît la visite de Watson à la Poste à la boue de son pantalon ; c'est par déduction a priori qu'il sait qu'il a envoyé un télégramme, puisqu'il a vu beaucoup de timbres et de cartes postales dans le bureau de Watson.

Prenons maintenant deux photos de Sherlock Holmes, l'une aux loisirs, l'autre au travail.  Le loisir lui est, bien sûr, odieux - plus encore que pour Watson.  Watson dit qu'il était réputé pour sa souplesse, mais nous n'avons que sa propre parole, et Holmes l'a toujours battu ; au-delà de cette prétendue prouesse, nous n'avons aucune preuve des qualités athlétiques de Watson, si ce n'est qu'il pouvait lancer une fusée à travers une fenêtre du premier étage.  Mais Holmes avait été boxeur et escrimeur ; pendant les périodes d'inactivité forcée, il tirait avec un revolver sur le mur d'en face jusqu'à ce qu'il l'ait "marqué de l'inscription patriotique V.R." Jouer du violon occupait les moments de loisir lorsque Watson l'a connu pour la première fois, mais plus tard, cela semble n'être rien de plus qu'une détente après un dur labeur.  Et - c'est très important - la musique était l'antithèse exacte de la cocaïne.  Nous n'entendons jamais parler de l'utilisation de cette drogue dans le but de stimuler les facultés mentales pour un travail acharné.  Tout le stimulus nécessaire, il le tirait du tabac.  Nous savons tous, bien sûr, qu'il fumait du shag : peu de gens pourraient dire d'emblée de quoi était faite sa pipe.  En fait, ses goûts étaient variés.  La longue veille dans la maison de Neville St. Clair était apaisée par une bruyère - c'est quand il travaille dur ; quand il voit son chemin à travers une inspection de bac à problèmes, comme dans le " Cas d'identité ", il prend " la vieille et huileuse pipe d'argile, qui était pour lui comme un conseiller ".  Dans "Copper Beeches", il prend "la longue pipe en bois de cerisier avec laquelle il avait l'habitude de remplacer sa pipe en argile lorsqu'il était d'humeur plus contestataire que méditative".  À une occasion, il offre du tabac à priser à Watson.  Watson, d'ailleurs, fumait du tabac de bateau lorsqu'il logeait avec Holmes, mais il a dû le remplacer peu après par une substance plus forte, à peine voilée sous le nom de plume de Mélange Arcadia.  Il n'a pas abandonné ce produit coûteux, même dans les exigences de la vie conjugale, bien que sa situation ne soit pas celle de l'aisance, puisqu'il a fait poser du linoléum dans le hall d'entrée.  Mais la pipe n'est pas pour Watson ce qu'elle est pour Holmes : c'est à Holmes qu'appartient la phrase immortelle : " Ce sera un problème à trois pipes ".  Il est l'un des plus grands fumeurs du monde.

Voyons maintenant Holmes au travail.  Nous savons tous combien il est vif à l'apparition d'un client ; comment, selon la phrase inimitable des Réminiscences : "Holmes s'est redressé sur sa chaise et a retiré sa pipe de sa bouche comme un chien de chasse qui a entendu le View Halloo".  Nous l'avons vu dans notre esprit rôder dans la pièce, le nez à un pouce du sol, à la recherche de mégots de cigarettes, de pelures d'orange, de fausses dents, de dômes de silence, et de tout ce que le criminel aurait pu laisser derrière lui.  Ce n'est pas un homme", dit M. Minsk, le grand critique polonais, "c'est une bête ou un dieu".

C'est cette accusation d'inhumanité portée contre Holmes que je veux spécialement réfuter.  Il est vrai qu'on l'a trouvé en train de battre les sujets morts dans le laboratoire, pour voir si des bleus pouvaient être produits après la mort.  Il est vrai qu'il était un scientifique.  Vrai, on trouve des passages comme ça dans le Signe des Quatre.

"Miss Morstan : Depuis ce jour, on n'a plus entendu parler de mon malheureux père.  Il est rentré à la maison le cœur plein d'espoir, pour trouver un peu de paix, de réconfort, et au lieu de cela...

Elle porta son doigt à sa gorge, et un sanglot étouffé coupa court à son discours.  La date ? " demanda Holmes en ouvrant son carnet.

Mais est-il vrai de dire que l'anxiété de Holmes à l'idée d'attraper le criminel n'était pas, comme celle de Watson, due à une passion pour la justice, mais à un intérêt purement scientifique pour la déduction ?  De telles vérités ne sont jamais que des demi-vérités : il serait difficile de dire que le footballeur joue uniquement pour le but, ou qu'il joue uniquement pour le plaisir de l'exercice.  Chez Holmes, l'humanité et la science se mêlent étrangement.  À un moment donné, nous le trouvons en train de dire : "Il ne faut jamais faire confiance aux femmes, pas même aux meilleures d'entre elles" (le lâche !) ou d'affirmer qu'il ne peut pas être d'accord avec ceux qui classent la modestie parmi les vertus, car le logicien doit voir toutes les choses exactement comme elles sont.  Même son petit sermon sur la rose du Traité de la marine est prononcé pour cacher le fait qu'il examine le cadre de la fenêtre pour voir s'il y a des rayures.  À un autre moment, il achète "quelque chose d'un peu différent dans les vins blancs" et discute des pièces miraculeuses, des violons Stradivarius, du bouddhisme de Ceylan et des navires de guerre de l'avenir.

Mais il y a deux caractéristiques spécifiquement humaines qui ressortent au moment même de l'action.  L'une est le goût de l'arrangement théâtral, comme lorsqu'il renvoie cinq pépins d'orange aux meurtriers de John Openshaw, ou qu'il emporte une éponge en prison pour démasquer l'homme aux lèvres tordues, ou encore qu'il sert le traité naval sous un couvercle comme plat de petit déjeuner.  L'autre est un goût pour l'épigramme.  Lorsqu'il reçoit une lettre d'un duc, il se dit : "On dirait une de ces convocations sociales qui demandent à un homme soit de s'ennuyer, soit de mentir".  Il existe un type particulier d'épigramme, connu sous le nom de Sherlockismus, dont l'infatigable Ratzegger a recueilli pas moins de 73 extraits.

  Les exemples suivants peuvent servir d'illustration :

"J'attire votre attention sur le curieux incident du chien dans la nuit.
"Le chien n'a rien fait du tout pendant la nuit.
C'était l'incident curieux", dit Sherlock Holmes.

Et encore :

"Je vous suivais, bien sûr.
"Vous me suiviez ?  Je n'ai vu personne.
C'est ce que vous devez vous attendre à voir quand je vous suis", dit Sherlock Holmes.

Pour écrire complètement sur ce sujet, il faudrait au moins deux sessions de cours.  Un jour, quand les loisirs et l'esprit d'entreprise me le permettront, j'espère pouvoir les donner.  En attendant, j'ai jeté ces indices, tracé les grandes lignes d'un mode de traitement possible.  Vous connaissez mes méthodes, Watson : appliquez-les."
 


Monsignor R. A. Knox "Studies in the Literature of Sherlock Holmes" (1911)